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« Les acteurs haïtiens n’ayant plus de repères institutionnels et moraux au niveau national se sont consacrés à l’arbitrage des étrangers » a déclaré Ricardo Germain

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Depuis plus de deux semaines, Haïti est coincé dans une spirale descendante marquée par une crise multidimensionnelle. D’un côté, des bandes armées sèment la terreur sur tout le territoire, et de l’autre, une crise humanitaire se profile quotidiennement. Par ailleurs, face à l’attitude infantile ou du moins à l’incapacité des acteurs locaux à s’entendre sur une proposition commune en vue d’endiguer le désastre et de sortir le pays de cette situation chaotique, la communauté internationale, dont le Département d’État américain et la CARICOM, constitue eux-mêmes en tant qu’instance d’arbitrage ou plutôt en tant que donneurs de leçons.

Pour mieux comprendre et analyser ce climat politique nauséabond, le journal “Le Louverture” a contacté cette semaine le professeur Ricardo Germain qui est à la fois spécialiste de la crise sécuritaire haïtienne et également analyste en stratégie internationale.

1- Il est vrai que ces dernières semaines nous avons assisté à une multiplication des scènes de violences perpétrées par des bandes armées, mais en réalité ce climat d’insécurité en Haïti n’est pas nouveau, et selon vous quelle est l’origine de cette maladie endémique ?

RG – L’origine de ce problème réside avant tout dans les disparités socio-économiques auxquelles s’ajoutent la criminalité transnationale et les conflits politiques. D’une part, nous nous trouvons face à des communautés ou plutôt à des personnes qui étaient à l’origine très pauvres et qui, pour s’en sortir, ont eu recours à la criminalité et à la violence politique. Et en devenant puissants, ces communautés ou ces personnes, parfois sollicitées par d’autres acteurs pour diverses raisons, finiront par devenir des pions incontournables sur l’échiquier, capables d’affirmer leur volonté.

2- Selon vous, quel est le rôle de l’international, des politiques et de la bourgeoisie haïtienne dans l’insécurité en Haïti ?

RG – Je ne serai pas accusateur en pointant du doigt certains secteurs. C’est aux autorités judiciaires de le faire. Or, je viens de vous dire que les groupes criminels se sont imposés de telle manière qu’on est capable de les solliciter de toutes parts pour défendre des intérêts économiques, politiques ou électoraux.

3- Les bandes armées sont devenues si puissantes qu’elles sont capables de renverser un gouvernement. Ceci est une observation. Mais selon vous, le MMSS est-il le meilleur moyen de résoudre ce problème ?

RG – Tout d’abord, je ne souscris pas à ce constat selon lequel les gangs auraient renversé le pouvoir. S’il est vrai que des groupes criminels sont descendus dans la rue pour faire pression sur le Premier ministre, il faut aussi reconnaître que son intention de démissionner est le résultat de négociations  menées par des acteurs politiques, tant nationaux qu’internationaux.

4- Selon certaines personnes, Ariel Henry démissionnerait parce qu’il aurait été licencié par le Département d’État. Mais comment comprenez-vous l’ingérence des États-Unis et de leurs alliés dans la vie politique haïtienne ?

RG – (…) Je dois certainement avouer que les Etats Unis sont très influents en Haïti, ceci bien avant même l’occupation de 1915. Mais bien des fois, ce sont les acteurs haïtiens, mêmes ceux les plus hostiles à la communauté internationale, qui, incapables de s’entendre sur des questions d’intérêts nationaux, les invitent à prendre parti.

5- Afin d’apporter une solution à la crise actuelle, plusieurs structures politiques ont proposé diverses solutions. Et dans l’opinion publique, on parle d’acteurs divisés qui ne défendent que leurs petits intérêts. Mais comment comprendre l’incapacité de ces acteurs politiques locaux à s’unir dans l’intérêt du collectif (le peuple haïtien) ?

RG – Il est courant chez les acteurs politiques de vouloir tout garder pour eux et rien pour les autres. Cette attitude a toujours rendu les négociations politiques difficiles dans la mesure où chacun a toujours pensé qu’il détenait le monopole exclusif de la raison et qu’il était mieux placé que quiconque pour prendre les rênes du pays. La multiplication des propositions est aussi effectivement un moyen pour certains acteurs mis à l’écart de faire valoir leurs intérêts politiques, sachant que tout objectif premier d’une structure politique est d’intégrer les sphères de décision.

6- La CARICOM se dit favorable à la mise en place en Haïti d’un conseil présidentiel composé de 7 membres et invite les parties prenantes à transmettre les noms des personnalités qui devraient faire partie de ce conseil présidentiel. Quel bilan faites-vous de cette approche ?

RG – Ma lecture de cette approche est que les acteurs haïtiens, n’ayant plus de repères institutionnels et moraux au niveau national, se sont livrés à l’arbitrage des étrangers de manière infantile diraient certains. Pourtant, nous ne récoltons que ce que nous aimons semer depuis plus de 200 ans. C’est-à-dire lutter pour le pouvoir, mettre le pays à genoux et hypothéquer notre souveraineté. Cela doit nous permettre de comprendre que nous n’avons pas réussi à établir un modèle de gouvernance capable d’assurer la stabilité et de résoudre nos conflits politiques internes.

7- Selon vous, quelle serait la meilleure proposition pour sortir de cette spirale vicieuse ?

RG –  Je n’en ai pas. Comment devrais-je en avoir quand il y a déjà jusqu’à 7 ou 20 articles qui parlent tous de propositions. Je ne suis pas acteur, du moins pas encore. Sauf que pour moi, il faudrait penser à avoir une commission pour réfléchir à la manière dont on va restaurer la confiance dans l’Etat.

8- En tant qu’expert en relations internationales, comment voyez-vous les relations développées entre Haïti et l’Occident ? Les autorités haïtiennes ne devraient-elles pas envisager ou plutôt orienter leur politique étrangère vers la Chine, la Russie, le Venezuela ? 

RG – Pour moi, ce n’est même pas une question d’orientation ou de réorientation de notre politique étrangère. Sauf que nous avons intérêt à définir nos intérêts nationaux, sans aucune passion, et à réfléchir stratégiquement à la manière dont nous allons procéder pour les défendre sans nuire aux autres États.

Propos recueillis par Sébastien Estira Pour Le Louverture 

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Le louverture est un media fondé en 2018 par Pierre Louis Elie, présent sur internet. Son nom est inspiré de Toussaint Louverture, l'une des Grandes figures des mouvements anticolonialistes, abolitionniste et d'émancipation des noirs.

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